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Le Bir-Tawil : un territoire n’appartenant à personne ?
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Joseph Csillag
18 septembre 2025

 

             La plupart des gens pourraient penser que toutes les terres émergées appartiennent ou sont revendiquées par un Etat. Cependant, plusieurs terra nullius, ou territoires non revendiqués, demeurent aujourd’hui. L’un des plus vastes est le Bir-Tawil, une région de 2060 km² située entre les frontières de l’Egypte et du Soudan, environ à mi-chemin entre le Nil et la mer Rouge. Bien qu’entièrement désertique, c’est une région à la fois habitable et non revendiquée par un Etat officiellement reconnu (Bonnett, 2014).

Refuser le Bir-Tawil pour réclamer un plus grand territoire

             Cette situation est due au différend frontalier qui oppose l’Egypte et le Soudan, depuis l’époque de leur colonisation par l’Empire britannique, à la fin du XIXe siècle. En effet, en 1899, les Britanniques tracent la frontière entre ces deux pays, une ligne droite à travers le désert. Cependant, en 1902, ils en dessinent une autre (voir carte), dans le but de mieux séparer les territoires des tribus liées ethniquement au nord, de celles qui appartiendraient plutôt au Sud. La frontière de 1899 donne le Bir-Tawil au Soudan, mais accorde à l’Egypte un territoire dix fois plus grand et doté d’une façade maritime, le triangle de Hala’ib. Celle de 1902 fait exactement l’inverse.

 

Bir Tawil

 

              Après l’indépendance des deux pays, les frontières n’étaient pas disputées dans cette zone désertique et très peu peuplée. Cependant, dans les années 1990, le Soudan commence à donner des permis d’exploitation pétrolière dans le triangle de Hala’ib. En réponse, l’Egypte occupe ce territoire, et le contrôle toujours de facto aujourd’hui. Mais les tensions perdurent aujourd’hui. Chacun des deux pays reconnaît uniquement la frontière qui lui donne le contrôle du triangle de Hala’ib, et qui exclut donc le Bir-Tawil. Revendiquer ce dernier impliquerait d’accepter les prétentions territoriales de l’autre, ce qu’aucun des deux pays ne souhaite faire. Voilà pourquoi ni l’Egypte, ni le Soudan ne prétendent posséder le Bir-Tawil. Ce cas nous montre que les Etats n’ont pas toujours intérêt à étendre leurs frontières le plus possible.

Aucune revendication solide jusqu’ici

              Le caractère non revendiqué de ce territoire en fait un objet de convoitise pour de nombreux acteurs, avec des motifs souvent fantaisistes. Par exemple, en 2014, un fermier américain visite ce territoire et y plante un drapeau. Il nomme alors le territoire « Royaume du Nord-Soudan » et s’autoproclame roi. Plusieurs autres prétendus monarques, venus de diverses régions du monde, ont également réclamé des droits sur le Bir-Tawil. Cependant, pour être véritablement reconnu comme un Etat, il faut, entre autres, fonder un gouvernement qui soit reconnu par les Etats voisins. Aucun de ces prétendants n’a, à ce jour, de réel gouvernement, et ni l’Egypte ni le Soudan n’ont entamé le dialogue avec l’un d’eux.

              Cependant, bien que les images satellites n’y montrent aucune habitation permanente, il serait faux de considérer que ce territoire est entièrement inoccupé. En effet, la tribu nomade des Ababda y est présente, au moins depuis l’Antiquité (Karalekas, 2020). Du fait de leur mode de vie, ils n’ont jamais revendiqué ce territoire, ni tenu compte des frontières. D’après Karalekas, compte tenu de leur occupation plus ancienne, ce seraient eux qui auraient le plus de droits à faire valoir sur le Bir-Tawil. Ils y ont tracé des voies de communication, leurs traditions sont particulièrement liées à ce territoire désertique et ils y exploitent de l’or de façon artisanale. Cependant, la zone qu’ils occupent, le désert de Nubie, a toujours été bien plus grande que le Bir-Tawil. S’ils devaient revendiquer ce territoire, seraient-ils alors contraints de se sédentariser là, aux dépens de leur identité nomade ? Il semble donc que le Bir-Tawil doive rester un territoire n’appartenant officiellement à aucun Etat, bien qu’il fasse partie depuis longtemps de l’identité de ce peuple. 

Bibliographie

Abdel-Qadr M & al (2012), « Giving a Voice to the Ababda ». Dans The History of the Peoples of the Eastern Desert, Cotsen Institute of Archaeology, University of California, Los Angeles.

Bonnett A (2014). Unruly Places: Lost Spaces, Secret Cities, and Other Inscrutable Geographies, pp. 73-77, London: Aurum Press.

Karalekas D (2020). « Navigating Terra Nullius: The Ababda and the Case for Indigenous Land Rights in Bir Tawil ». Global Journal of Economics and Finance, Vol. 4 No. 2 Septembre 2020. https://orcid.org/0000-0001-7530-3573

Najarro I (2014). « Va. man plants flag, claims African country, calling it ‘Kingdom of North Sudan’ ». The Washington Post, 12/07/2014.

Najarro I (2014). « Virginia man’s claim on African land is unlikely to pass test ». The Washington Post, 07/09/2014

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