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La géomatique au service des univers fictifs
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Thomas FIETTE
17 janvier 2025

Du jeu de société virtuel à la quête de l’immersion

Lorsqu’en 1972 paraît Pong sur Atari, le premier jalon de l’histoire du jeu vidéo est posé. Une activité ludique, reposant sur l’interactivité et l’accessibilité, une interface simple dont le seul objectif est la transposition d’un jeu de tennis de table à travers un support dématérialisé. Bien que nous soyons alors loin de la question de la transcription virtuelle de la réalité, on retrouve déjà l’idée d’offrir une immersion au joueur par le biais d’un jeu connu. Jusqu’à la fin des années 1980, les différentes sorties s’appuient sur ce principe : des jeux simples avec une grande re-jouabilité, conçus pour être similaires à n’importe quel jeu de société (Ryan, M-L. 2001). Au cours des années 1990, les éditeurs de jeux vidéo se développent rapidement et accèdent à des technologies plus adaptées à la création (développement des CD-ROM, consoles 64 bits, premières IA, popularisation des connexions locales). Parmi les leaders du marché, Nintendo et Sega enrichissent leurs jeux avec une notion de spatialité globale, créant des univers cohérents comprenant des régions, des villes ou encore des pays à l’image de Mario World (1990) ou de Sonic the Hedgehog (1991). D’un point de vue conceptuel, chaque scène dans laquelle le joueur peut évoluer est similaire à un nœud comprenant un visuel et des informations. Aucun lien n’existe entre ces différents nœuds si le scénario ne le prévoit pas : la spatialité est simulée (Fisher, M. 2005). On entend ici par nœud une unité spatiale isolée, autonome en termes de données visuelles et interactives, connectée à d'autres via des transitions prédéfinies, mais sans continuité géographique.

Un premier pas vers une spatialité plus poussée est franchi avec la modélisation tridimensionnelle des espaces. Des titres comme Doom (1993) et Quake (1996) ont été des pionniers dans ce domaine, posant les bases de la modélisation 3D et de la navigation en perspective subjective. Ces avancées ont permis aux joueurs d’évoluer dans des espaces complexes, marquant un tournant dans la liberté d’exploration et d’interaction. Chaque objet, mur, personnage dispose d’une physique et de coordonnées définies permettant au joueur de se situer dans l’espace. Ici, bien que le joueur puisse librement observer voire interagir localement avec l’ensemble de l’espace qui lui est proposé, le système global de nœud reste le même, similaire à un ensemble de points sans référentiel global (Fisher, M. 2005).

 

Des mondes virtuels presque tangibles

Dans la continuité de la transition vers la tridimensionnalité, la fin des années 1990 marque une seconde révolution du monde des jeux vidéo. Le principe d’Open World redéfinit les possibilités et marque une rupture avec le système jusqu’alors existant. Des opus comme The Elder Scrolls (1994) ou King’s Field (1994) modélisent intégralement leur univers explorable, mettant fin au système de nœud utilisé jusqu’alors. Les années 1990 ne sont que les balbutiements de ce nouveau système de jeu, il faut attendre les années 2000 pour voir apparaître des consoles et des moteurs graphiques capables de supporter les exigences techniques de ce type de jeu. Dès lors, apparaissent des myriades de jeux en Open World s’imposant rapidement comme la nouvelle formule à succès à l’image de World of Warcraft (2004), Grand Theft Auto : San Andreas (2004), ou encore The Legend of Zelda : The Wind Waker (2003).

La conception des jeux en open world repose sur des systèmes inspirés de principes transposable à la géomatique. Les mondes sont découpés en cellules ou chunks, semblables à des données raster, chargés dynamiquement en fonction de la position du joueur. Les LOD (Level of Detail) s’apparentent aux résolutions multi-échelles pour optimiser l’affichage des paysages. La principale relation entre géomatique et ce type de jeu est la notion de référentiel (Batty, M & Hudson-Smith, A. 2005), chaque élément disposant de coordonnées tridimensionnelles que l’on peut rapprocher du concept de jumeau numérique malgré la nature fictive du jeu. L’objectif général est de donner la sensation d’un univers intégralement généré en permanence tout en intégrant les contraintes techniques du support utilisé (console de salon, PC voire smartphone à partir des années 2010) (Pettini, S. 2021).

 

De l’inspiration fictive au réel

Un fil rouge du jeu vidéo depuis la mise en place des premiers jeux tridimensionnels a été le développement de l’immersion du joueur. La liberté offerte au joueur par le biais des Open World a fortement contribué au développement de celle-ci. Cependant, un autre aspect de l’immersion qui a aussi grandement évolué est le réalisme des environnements. Au-delà de la qualité des graphismes qui a bénéficié des progrès en matière de moteur graphique, certaines licences ont fait le choix de s’appuyer sur des espaces réels afin d’ancrer leur jeu dans la réalité. L’exemple le plus connu est la série de jeux Assassin’s Creed (2007 à aujourd’hui), qui reproduit le plus fidèlement possible différentes villes du monde. La technologie utilisée est celle d’un jumeau numérique, comprenant une première couverture par photogrammétrie pour un rendu global et un scan LIDAR pour modéliser les zones les plus complexes. Également, l’intégration des personnages est réalisée presque intégralement en motion capture (Harrington, C. 2020). Une seconde particularité de cette licence est sa gestion de la temporalité : les jeux parus se déroulent dans un passé plus ou moins proche, impliquant également le plaquage de plans d’époque pour un rendu historiquement réaliste (Ubisoft. 2014). La licence Assassin’s Creed est probablement celle qui alloue le plus de moyens dans le réalisme de ses produits. Cependant, de nombreux jeux parus par la suite tels que la saga Forza Horizon (2012 à aujourd’hui) ou encore Red Dead Redemption (2018) ont également intégré des images satellites et des modèles numériques de terrain dans leurs jeux.

Dans un registre différent, la toute fin des années 2010 a vu croître rapidement la popularité des jeux de simulation extrêmement réalistes. Les deux exemples les plus connus sont Microsoft Flight Simulator (2020) et SnowRunner (2020), intégrant les bases de données du trafic aérien et routier, de la météo en temps réel, en plus de la reproduction fidèle du monde entier par le biais de MNT et d’images satellites (Asobo Studio. 2020).

 

Des outils libres de développement intégrant l’aspect spatial

Avec la diversification du jeu vidéo, des outils libres de développement ont émergé pour permettre au grand public de développer leurs propres créations. Des logiciels comme Unity et Unreal Engine offrent des fonctionnalités avancées pour la modélisation 3D, ainsi que des outils dédiés à l’intégration de données géospatiales.

Par exemple, Unreal Engine permet l’utilisation de plugins SIG qui rendent possible l’importation de cartes réelles dans un environnement virtuel, en utilisant des formats standard comme GeoJSON, Shapefiles, ou encore des modèles numériques de terrain (Cassaing, J. 2023). Ces outils exploitent des données provenant de sources ouvertes telles que OpenStreetMap ou des services d’imagerie satellite comme Sentinel-2, permettant une recréation précise des paysages et des infrastructures. Grâce à ces intégrations, les développeurs peuvent simuler des environnements géographiquement cohérents et interagir avec des éléments réels, tels que la topographie, les routes ou les bâtiments (Keil, J et Al. 2021).

Ces outils, souvent gratuits dans leurs versions de base, ont contribué à la démocratisation de la création de mondes virtuels. Ils intègrent également des bibliothèques préexistantes, des générateurs procéduraux de paysages basés sur des données géospatiales, et des systèmes d’éclairage avancés. Cela permet à des indépendants et à de petites équipes de produire des jeux ou des simulations géospatiales rivalisant avec ceux des grandes entreprises. ESRI renseigne même que des outils tels qu’Unreal Engine ou Unity, initialement conçus pour le développement de jeux vidéo, peuvent être utilisés pour simplifier la simulation et la visualisation de données géospatiales dans des environnements 3D.

 

Le retour haptique, la nouvelle ambition de la décennie

Depuis 2016 et l’apparition de la veste Teslasuit, une nouvelle technologie est apparue sur le marché du jeu vidéo intégrant le retour haptique dans ses équipements. Il s’agit d’un système simulant les sensations tactiles. Par exemple, les boutons des iPhones 7 et 8 ne sont en réalité pas des boutons poussoirs mais une interface tactile simulant, grâce à une vibration, la sensation d’appuyer sur un bouton. Dans le cadre du jeu vidéo, il s’agit de ressentir physiquement les contacts que le personnage aurait. L’usage de cette technologie implique une nouvelle maîtrise de l’environnement tridimensionnel, tout particulièrement vis-à-vis de l’ensemble des composants de celui-ci et de l’impact qu’il peut avoir sur le joueur (sensation du sol, température ou encore contact physique avec l’environnement).

 

Bibliographie

Asobo Studio. (2020). “Behind the Scenes: The Technology of Microsoft Flight Simulator.”

Cassaing, J. (2023). “Quelle architecture implémenter pour intégrer des données du monde réel dans un simulateur Unreal Engine 5 et dans le contexte de la réalité mixte ?” Gendarmerie Nationale.

Fischer, M. (2005). “Mapping the Virtual Landscape: The Evolution of Game Geography.” Journal of Game Design and Development Education.

Harrington, C. (2020). “Historical Accuracy and Representation in Assassin’s Creed.” Journal of Game Design and Development Education.

Keil, J., Edler, D., Schmitt, T., & Dickmann, F. (2021). “Creating Immersive Virtual Environments Based on Open Geospatial Data and Game Engines.” KN - Journal of Cartography and Geographic Information, 71, 53–65.

Pettini, S. (2021). The Translation of Realia and Irrealia in Game Localization.

Ryan, M.-L. (2001). Narrative as Virtual Reality: Immersion and Interactivity in Literature and Electronic Media.

Ubisoft. (2014). “Creating Notre Dame in Assassin’s Creed Unity: A Look Behind the Scenes.”

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